Tous mes voisins sont réunis devant l’immeuble, sur le parking. C’est la première fois que ça leur arrive d’être unis pour une même cause. Même ceux qui se détestent, aujourd’hui se côtoient. Sous leur parapluie, mutiques et inquiets, ils lèvent les yeux au ciel.
Le pire est arrivé :
au troisième, un chat s’est suicidé.

Une patte accrochée à la fenêtre à imposte, la tête dans le vide, il pendouille. Dans un balancement de plomb qu’un pompier interrompt vaillamment en saisissant sa queue, dure et solide comme une barre à mine.
Une fillette pleure.
Le vieux du premier tremble.
Le pompier descend de son échelle. Regagne, stoîque, son camion rouge et part avec le cadavre.
Pimpon, pimpon ! Pimpon…

Solidaires dans le deuil, mes voisins restent encore quelques secondes sous la pluie.
Avant de rentrer chacun chez soi,
avant la prochaine guerre à mener à ses voisins.

SM ?

16 novembre 2011

«On ne choisit pas son chat, c’est lui qui nous choisit», ponctue la conteuse avant de s’asseoir à mes côtés et de me faire l’honneur d’un brin de causette. Affinité amicale, animale. Elle est personnellement convaincue que les propriétaires de chat se comprennent. Le fait que deux parfaites inconnues bavardent à cœurs ouverts de leurs félins respectifs, en est bien la preuve. Ce que c’est bon ces discussions entre fous (les gens normaux ont sûrement quelque chose à cacher)!

Aujourd’hui, en brossant mon chat, je repense aux échanges de la veille, à nos sourires complices. Dans la peur d’être bêtes mais aussi dans l’envie de partager des choses bêtes. Je brosse donc mon chat. Angora. Emmêlé de la tête à la queue. Je l’observe. Sous les coups de brosse francs et insistants, qui malmènent son pelage et tirent violemment son épiderme, il crie, miaule. Se débat. Se retourne. Griffe. Menace de mordre. Malgré l’inconfort et la douleur, il ronronne à tue-tête. Sa tête recherche ma main (celle qui tient l’outil). S’y frotte. S’y soumet. Ses yeux supplient. Il en redemande. Rien n’est plus sûr que ça. Il a mal mais il en redemande. Le plaisir dans la souffrance. Le plaisir par la souffrance. Un vrai masochiste. Et moi, je m’acharne, j’arrache les nœuds, je tire, je brosse. Skritch. Skritch. Fort. Skrrrrritch. Encore plus fort. SKRRRRITCHHHH. Et j’aime ça.

Pour lequel de ces deux adages m’a-t-il donc choisie : « qui se ressemble, s’assemble » ou « les opposés s’attirent » ?
Je me demande…
Et je crois que j’ai ma petite idée.

Les mouches

6 juillet 2011

D’une main, elle se cramponnait à sa canne. De l’autre, elle s’épuisait à chasser les mouches. Le mouvement de va-et-vient de ce bras faible la faisait vaciller et mettait en péril un équilibre précaire. Mais elle ne cessait pas de parler. Jamais. « Les mouches n’ont vraiment pas de mémoire, elles reviennent toujours d’où on les a chassées !», disait-elle. Ma grand-mère avait toujours une anecdote à raconter. Un gouffre de connaissances, synonyme du temps passé à dévorer les livres, du temps passé à tuer le temps. En solitaire.

Dans un millier de gestes quotidiens, je la retrouve. C’est idiot mais lorsqu’une mouche entêtée me nargue, je vois ma grand-mère et j’entends le timbre de sa voix.

Aujourd’hui, il m’est arrivé le phénomène inverse. C’est le vrombissement des témoins de Jéhova qui m’a fait penser à ces bestioles agaçantes. Comme les mouches, ils se sont invités, incrustés et ont tourné autour du pot jusqu’à ce que je les envoie valdinguer. Et comme les mouches, ils ont réitéré leur requête. Quatre visites en une matinée. Invraisemblable. Du harcèlement.

Depuis, je cache dans mon dos une tapette. S’il le faut, je l’utilise.
Et n’allez pas me demander quelle mouche m’a piquée !

Chat et chien

7 novembre 2010

D’un dangereux jeu de griffes, la petite chatte pétrit le torse de son maître. Les yeux mi-clos, feignant l’indifférence, elle ronronne. S’offre. S’abandonne. Elle est tout à lui.

Excédé par cette infantile soumission, il l’éjecte. La petite chatte remonte sur lui. Il la repousse encore. Vilainement. D’un timide miaulement, en se frottant le museau au pied du lit, elle quémande quelque caresse, quelque attention. Il l’ignore avant de s’énerver, de la chasser dehors et de lui claquer la porte au nez.

Dehors, c’est novembre. Il fait froid. Une sorte d’électrochoc dans la tête de la petite chatte. Victime d’une soudaine prise de conscience, elle décide de réagir et se résout à devenir chienne :
Du jour au lendemain, elle se met à aboyer. À tue-tête, pour tout et pour rien. Autoritairement. Et du jour au lendemain, enfin, il s’intéresse à elle. Comme par magie. Il la caresse, la sort, la promène… Bref, il l’emmène partout. Il lui a même offert un collier.

C’est donc vrai que les hommes préfèrent les chiennes ?

Garçon-chaton

7 septembre 2010

Ce garçon d’à peine vingt ans a quelque chose de généreux à offrir, de pur et d’indécent. Une fougueuse innocence. Qui déborde, qui exulte. Insatiablement. Il ose. Il a toupet du contact, l’audace de faire rire. Et le rire excuse tout. La maladresse, l’excès, la différence d’âge.

Le garçon-chaton joue tout azimut. Il guette. Court. Sautille. Bondit. Griffe. Saisit. Mordille. Relâche. Attaque. Court et sautille encore.

Hélas, il se lassera. Se fatiguera. Dans quelques années, en tout bon vieux matou, il lèvera une patte – une mais pas deux, seulement si une souris lui passe sous le museau. Sans effort, ni conviction. Et dans un ronronnement de nonchalance, il clignera des yeux avant de piquer un nouveau somme.

Le chat et la souris

12 juillet 2010

Ses petits pas rapides de danseuse frivole et éméchée narguent le grand moustachu à l’affût. Espiègle, indifférente et mutine, elle le dupe et l’embobeline avec de jolis jeux de jambes. Trop intrigué pour l’inviter à valser, il reste campé dans sa position d’alléché. La souris sautille, danse et court. Et, petit à petit, le matou se décide à lui faire la cour. Avec maladresse, avec insistance. Ses cris stridents aiguisent son appétit. Le jeu, jadis amusant, devient terrifiant pour la demoiselle en question. D’un coup de patte peu galant, il la fait tournoyer à souhait. Entre les nombreuses figures imposées, elle tente pourtant de lui filer entre les pattes. Mais vaines sont ses tentatives. Plus elles sont élaborées, plus spectaculaires sont les acrobaties. De pirouettes en sauts périlleux vrillés, la rebelle s’épuise. Terrifiée et démunie, elle finit par s’offrir à lui, dans la fatalité. Mais Monsieur est tout à coup lassé. Il la laisse choir seule sur la piste et s’en va vers d’autres conquêtes.

Suis un chat il te fuira, fuis un chat il te suivra !